La psychopédagogie du bien-être, un champ d’expertise qui se penche sur les connaissances scientifiques du développement du bien-être, de l’épanouissement et du fonctionnement optimal des individus évoluant dans les institutions éducatives, pourrait être une solution pour instaurer une réelle culture favorisant le bien-être et la bienveillance dans les écoles québécoises et les établissements d’études supérieures.

Collecto s’est entretenu avec la chercheuse Nancy Goyette afin d’en savoir plus sur cette approche innovante.

Comment votre parcours professionnel vous a-t-il mené à vous intéresser à la psychopédagogie du bien-être ? Pouvez-vous nous raconter quel a été votre cheminement?

Mon parcours est plutôt atypique! J’ai débuté ma carrière en tant qu’enseignante au secondaire pendant près de 12 ans. À l’époque, la réalité des nouveaux diplômés était bien différente de ceux d’aujourd’hui. La compétition était plus féroce, un climat de concurrence régnait, car nous n’étions pas du tout dans un contexte de pénurie de main-d’œuvre. Ainsi, comme peu de postes étaient disponibles, j’ai cumulé des contrats temporaires pendant plusieurs années en enseignant différentes matières, alors que mes disciplines principales étaient le français et l’histoire. Bref, l’ensemble de ces facteurs occasionnait beaucoup d’anxiété et de difficultés personnelles pour la plupart des nouveaux enseignants, dont je faisais partie.

Malgré les défis personnels et les revers professionnels que j’ai dû affronter, j’ai toujours persévéré, car je ne me voyais nulle part ailleurs que dans le réseau de l’éducation. Au fil des années, j’ai donc développé mes propres stratégies pour prendre soin de moi et cultiver mon bien-être, tout en essayant de comprendre pourquoi certains de mes collègues n’éprouvaient plus de plaisir à enseigner et n’étaient pas en mesure de développer leurs propres moyens pour aller mieux. Ainsi, j’ai pris la décision de poursuivre mes études qui m’ont menée à la rédaction d’un mémoire de maîtrise sur le plaisir d’enseigner ressenti par les enseignants du secondaire, en analysant leurs compétences émotionnelles.

C’est à partir de ce moment-là que j’ai eu « la piqûre » pour la recherche ! Puis, j’ai obtenu mon doctorat ainsi qu’un poste de professeure au département des sciences de l’éducation de l’Université du Québec à Trois-Rivières. Sans surprise, mes travaux se sont principalement centrés sur la construction identitaire et le bien-être du personnel enseignant ainsi que sur les facteurs de leur bien-être au travers des multiples difficultés vécues dans les institutions éducatives. La psychopédagogie du bien-être, un nouveau champ en sciences de l’éducation, voyait le jour.

 

La notion de bien-être est complexe et ses facteurs semblent varier selon le contexte. Le concept de la psychopédagogie est, pour sa part, davantage consensuel et appliqué. Vos recherches vous ont amené à associer ces deux champs : la psychopédagogie du bien-être. Qu’en est-il précisément?

Il faut savoir que la notion de bien-être est polysémique. Il y a plusieurs types de bien-être et on ne peut s’arrêter à leur définition commune surtout lorsqu’il s’agit d’un contexte aussi particulier que celui du milieu de l’éducation. Le bien-être est un phénomène dont il reste encore beaucoup à étudier!

Le concept de psychopédagogie du bien-être se situe à la rencontre des sciences de l’éducation et de la psychologie positive. En matière de champ de recherche, on s’intéresse aux moyens de développer les aspects positifs déjà présents dans un contexte particulier. Alors que plusieurs champs de recherches se penchent sur les manques à combler en employant une approche par le déficit, comme plusieurs études sur le mal-être, notamment, l’approche de la psychopédagogie du bien-être, quant à elle, s’appuie sur le développement du potentiel et l’actualisation de soi. En d’autres termes, plutôt que d’étudier les sources du mal-être afin de trouver des pistes de solutions vers le bien-être, on construit sur les éléments existants qui favorisent déjà le bien-être.

 

Votre parcours met en lumière plusieurs défis relatifs au bien-être, auxquels faisait face le personnel enseignant à vos débuts. Quels sont vos constats aujourd’hui?

Le contexte actuel est grandement différent de celui dans lequel j’ai commencé à enseigner. Il y a 20 ans, le nombre de nouveaux diplômés dépassait largement celui des places disponibles. Cette réalité créait le climat tendu que j’évoquais plus tôt ; les novices ne pouvaient pas accéder à un poste permanent avant plusieurs années. Ils cumulaient des dettes et s’épuisaient à enseigner plusieurs matières d’une semaine à l’autre, sans matériel et sans soutien psychologique. L’incertitude d’un avenir plus stable et l’accumulation de toutes ses épreuves causaient un réel mal-être et un certain cynisme chez plusieurs d’entre eux, sans oublier l’anxiété qui était naturellement déjà présente. À l’époque, le bien-être n’était pas une priorité dans le milieu de l’enseignement et de l’éducation.

Aujourd’hui, la dynamique s’est inversée quant aux causes de l’anxiété et de l’absence de bien-être au travail, chez les nouveaux enseignants. Avec la pénurie de main-d’œuvre qui touche plusieurs secteurs, dont l’enseignement, et ce, dans plusieurs régions, la charge de travail ne cesse d’augmenter et plusieurs diplômés ne se sentent pas assez outillés pour répondre aux exigences de la nouvelle réalité du terrain.

En favorisant davantage la performance et les résultats scolaires des apprenants plutôt que les besoins réels d’apprentissage, cela augmente la pression sur les enseignants qui disposent de peu de moyens et de peu de temps pour adapter leur approche en fonction du rythme d’apprentissage de leurs élèves.

Cela étant dit, la pénurie actuelle d’enseignants est telle que les établissements et les gestionnaires déploient beaucoup plus d’énergie pour mieux encadrer et soutenir leurs employés. Le bien-être et la bonne santé mentale du personnel enseignant s’avèrent primordiaux pour pouvoir conserver un bassin de ressources en poste. Le constat est sans appel : une culture intégrée du bien-être est bénéfique pour tous les acteurs du réseau de l’éducation et pour la réussite éducative. Néanmoins, un des problèmes courants est de s’arrêter trop souvent à la définition du bien-être dans son sens commun, sans aller plus loin.

 

Concrètement, quelle méthodologie avez-vous utilisée pour approfondir le concept et pour effectuer vos recherches dans le contexte éducatif?

Naturellement, mon approche méthodologique est davantage qualitative que quantitative, tout simplement parce que je m’intéresse à la complexité humaine et que je désire approfondir davantage l’état des connaissances en allant à sa rencontre pour mieux la comprendre. Dans le cadre de mes travaux actuels, je privilégie de plus en plus une méthode mixte qui me permet de mesurer les facteurs du bien-être quantitativement, pour ensuite approfondir certains aspects ressortant des analyses statistiques. Elles m’aident par ailleurs à dresser un portrait plus exhaustif des résultats obtenus qualitativement et à transposer mes connaissances dans un format pédagogique, afin de mieux les transmettre aux acteurs sur le terrain.

Sur le plan pratique, ma principale recherche a pris forme à l’aide d’une superbe communauté d’apprentissage composée d’une membre de la direction, de deux conseillères pédagogiques et d’enseignantes du centre de services scolaire des Hautes-Rivières en Montérégie. Cette belle collaboration de trois années s’est articulée autour d’une recherche-action, soit en construisant le savoir avec les personnes impliquées.

La première étape consistait à accompagner des enseignants du primaire qui souhaitaient favoriser le bien-être. Ainsi, la notion de psychopédagogie du bien-être est grandement issue de cette étape du projet, car nous avons mis en application plusieurs concepts de la psychologie positive à travers des activités de développement professionnel qui mettaient en scène le bien-être. Par exemple, nous leur avons fait découvrir leur force de caractère (traits positifs de la personnalité) et les avons guidés dans une réflexion sur l’utilisation de cette force, dans l’élaboration d’activités pédagogiques pour leurs élèves en discutant ensemble autour des concepts tels que la mentalité de croissance, les éléments du bien-être ou la gratitude.

À l’inverse d’un programme de bien-être clé en main qui vise à implanter des solutions dans le milieu, l’essentiel de notre approche consistait à « partir de la racine » et de travailler à petite échelle pour être en mesure d’accompagner adéquatement les enseignantes aux fondements des recherches en psychologie positive, pour ensuite les intégrer à leurs approches pédagogiques, et ce, afin qu’elles puissent elles-mêmes faire des choix adaptés à leur contexte de classe et d’école.

L’objectif de cette approche est que les membres du personnel éducatif développent un agir compétent en psychopédagogie du bien-être dès le début de leur parcours. Ils détiennent ensuite des compétences pour accompagner leurs pairs et les élèves dans l’intégration du bien-être. Ce processus contribue à l’autonomisation des acteurs, en développant leur pouvoir-agir sur les choses qu’ils connaissent, comme leurs élèves notamment. Cela leur permet également d’intégrer et d’adapter continuellement le bien-être à leur contexte éducatif.

Nancy Goyette, Ph.D ©

On comprend que l’accompagnement du personnel pédagogique, et plus particulièrement du personnel enseignant, dans l’intégration du bien-être est essentiel. Néanmoins, selon vous, de quelle manière d’autres membres ou intervenants du milieu de l’éducation (direction, cadres, gestionnaires, etc.) peuvent-ils bénéficier de la psychopédagogie du bien-être afin d’instaurer une culture et une approche bienveillante au sein de leur organisation?

Il semble désormais y avoir une grande volonté au sein des institutions éducatives d’inclure le bien-être et la bienveillance dans leur mission éducative. Or, les actions et les comportements ne reflètent pas toujours les intentions, cela dû en partie aux environnements de travail qui s’avèrent toujours plus complexes.
Je dirais que la première étape est d’initier des changements organisationnels concrets pour intégrer le bien-être et la bienveillance dans toutes les sphères de leur institution. Pour ce faire, quelques éléments sont cruciaux :

Pour aller plus loin

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