Entrevue avec M. Marc Tremblay, expert et professionnel certifié en accessibilité numérique 

Intégrer les notions de diversité, d’équité et d’inclusion dans la transformation numérique des environnements éducatifs soulève plusieurs enjeux au niveau de ce que nous nommons aujourd’hui l’accessibilité numérique. Celle-ci est une « mesure selon laquelle les produits, systèmes, services, environnements et installations peuvent être utilisés par des personnes d’une population ayant le plus large éventail de besoins, de caractéristiques et de capacités d’utilisateur, afin d’atteindre des objectifs identifiés dans des contextes d’utilisation identifiés ».¹

En d’autres termes, l’objectif de l’accessibilité numérique est de rendre les contenus et les fonctionnalités numériques accessibles à tous, notamment les personnes en situation de handicap, de manière à pouvoir percevoir, comprendre, naviguer et interagir sur le web ou même créer des ressources numériques sur tout type de support (ordinateur, tablette, téléphone intelligent, etc.). Malheureusement, le constat actuel n’est pas très positif. Prenons comme exemple une étude menée par le Regroupement des aveugles et amblyopes du Montréal Métropolitain (RAAM), qui démontre que sur un échantillon de 960 sites web d’organisations québécoises, 80 % ne respectent pas les critères minimaux d’accessibilité, et en particulier dans le milieu de l’éducation où le chiffre atteint 94 %.²

Nous nous sommes entretenus avec M. Marc Tremblay, consultant et professionnel certifié en accessibilité numérique auprès des gestionnaires et organisations du réseau de l’éducation, pour mieux comprendre quels changements et défis ont influencé le développement de l’accessibilité numérique au sein des établissements d’enseignement au cours des 20 dernières années. M. Tremblay évoque notamment dans cette entrevue, les enjeux de l’accessibilité numérique et nous livre également plusieurs éléments de réponse.

Vous travaillez et intervenez au sein du réseau depuis plus de 20 ans, quel est votre constat relativement à l’évolution des pratiques en matière d’accessibilité et d’inclusion? Avez-vous remarqué des tendances ou changements significatifs dans les pratiques des collèges québécois?

Je vous dirais que les pratiques inclusives ont vraiment beaucoup évolué depuis 20 ans dans le réseau de l’éducation, et heureusement! Ce sont notamment les pratiques liées aux étudiants en situation de handicap qui ont connu la plus grande évolution. Et pour bien comprendre ces changements et mutations, il est important de connaitre l’historique de ces pratiques.

Le soutien aux étudiants en situation de handicap a débuté dans les années 80. Avant les années 2000, des accommodements étaient offerts principalement aux étudiants ayant des déficiences visuelles, auditives ou motrices. À mon arrivée dans le réseau, c’était le début d’une deuxième vague d’accommodements. Nous commencions à prendre conscience des besoins des étudiants ayant des troubles d’apprentissage, de santé mentale ou du spectre de l’autisme. En parallèle, les services des ressources humaines (RH) des collèges se rendaient progressivement compte que des employés en situation de handicap pouvaient détenir des besoins similaires.

Au fil des années, le réseau de l’éducation a su développer un ensemble de bonnes pratiques sous forme d’accommodements raisonnables. À présent, un élève, un étudiant ou un employé vivant une situation de handicap peut aisément demander un accommodement pour répondre à ses besoins spécifiques. En effet, on constate une augmentation fulgurante de ces demandes auprès des services adaptés des collèges, entre autres, qui ont la responsabilité de mettre en place ces mesures individualisées.

Par ailleurs, depuis une dizaine d’années environ, on voit apparaitre au Québec comme à l’international, des approches de conception universelle en éducation. Citons par exemple la plus connue ; la Conception universelle de l’apprentissage (CUA) ou Universal Design of Learning. En réalité, cette approche dépasse les frontières du milieu de l’éducation. Les conceptions universelles se sont imposées autant dans les domaines de l’informatique, du numérique, du web, de la construction, de l’architecture, du transport que de l’aménagement urbain. D’ailleurs, l’accessibilité universelle provient initialement du domaine de l’architecture pour être maintenant largement utilisée dans le design des environnements technologiques.

L’année 2018 représente un autre tournant majeur pour les pratiques inclusives au sein des établissements d’enseignement, avec l’entrée en vigueur du standard SGQRI-008 2.0 afin d’améliorer l’accessibilité des contenus web diffusés par les organismes publics, en vertu de la Loi sur la gouvernance et la gestion des ressources informationnelles des organismes publics et des entreprises du gouvernement (LGGRI, chapitre G-1.03). Ce standard énonce les règles permettant à tout site web et à son contenu d’être accessibles afin de faciliter leur utilisation par toute personne, handicapée ou non, selon les normes internationales d’accessibilité ISO et du W3C.

Qu’est-ce que cela change, me direz-vous, puisque ce standard s’applique uniquement à un site web? Selon moi, cela marque une nouvelle étape importante puisque les pratiques inclusives ne se limitent pas seulement aux accommodements mis en place par les services adaptés pour les apprenants ou par les RH pour les employés.

Avec ce nouveau standard, d’autres acteurs ou équipes qui n’avaient pas à s’intéresser aux situations de handicap ou à d’autres enjeux de diversité auparavant, doivent s’en préoccuper maintenant. Les approches inclusives ne concernent plus seulement les services adaptés ou les services RH, mais également ceux des communications et des technologies de l’information. Pour moi, cela représente une vraie révolution, puisque nous commençons à décloisonner les responsabilités.

Selon vous, quels sont les plus grands défis et freins auxquels sont confrontés les acteurs du réseau collégial pour mettre en œuvre et favoriser des environnements numériques plus accessibles? 

Lorsque j’ai quitté le monde collégial en 2016 pour prendre un long congé parental, cela m’a permis de prendre un pas de recul nécessaire face aux enjeux d’accessibilité. C’est pendant ce congé que j’ai décidé de démarrer mon agence de consultant en accessibilité. C’est aussi à ce moment-là que j’ai découvert le design de l’expérience utilisateur (design UX), la recherche UX et les normes d’accessibilité numérique apparues depuis les débuts du web, dans les années 90.

Ce pas de recul m’a également permis de prendre conscience que la mise en place de véritables changements dans les établissements d’enseignement passe nécessairement par une meilleure collaboration entre les directions, les enseignants, les apprenants, les professionnels des communications, du web et de l’informatique, ainsi que par les RH. Selon moi, c’est ici que réside le plus grand défi pour mettre en œuvre des environnements inclusifs et accessibles : combiner un vrai leadership avec un investissement humain et financier pour apporter une réelle transformation des environnements numériques.

Pour qu’un environnement numérique devienne accessible à toute une diversité d’utilisateurs, cela nécessite la volonté de développer un véritable savoir-être inclusif. Ainsi, les orientations stratégiques, les choix technologiques, le design web, la création de documents numériques ou de matériels pédagogiques sont autant de critères qui auront un impact direct dans la mise en œuvre de pratiques plus inclusives. En réalité, ce sont les conditions minimales pour des pratiques inclusives.

En définitive, la mise en place d’accommodements raisonnables révèle souvent le fait qu’un environnement n’est pas assez inclusif. Plus on favorisera un environnement accessible, plus on pourra réduire le nombre d’accommodements individualisés. C’est l’objectif de l’accessibilité universelle.

Comment les établissements du réseau collégial peuvent-ils rester au fait des nouveautés technologiques et des pratiques à l’égard de l’accessibilité?

L’application du standard SGQRI-008 2.0 est un des premiers leviers pour aider les établissements d’enseignement à améliorer leurs pratiques. Rien de tel qu’une exigence de conformité pour nous amener à revoir ou modifier nos pratiques.

Ensuite, un réel engagement à intégrer l’accessibilité numérique comme valeur sera néanmoins nécessaire. En effet, l’accessibilité n’est pas seulement un droit pour les personnes en situation de handicap, elle est surtout un critère de qualité nous amenant à développer de bonnes pratiques en vue d’améliorer l’expérience utilisateur des environnements numériques, au sein des établissements du réseau de l’éducation.

Par ailleurs, il est également important de valoriser et mieux faire connaitre une nouvelle profession émergente : le professionnel de l’accessibilité. Plus précisément, ce dernier vise à soutenir et mettre en œuvre des environnements numériques plus inclusifs en collaborant avec les équipes des services de technologie de l’information et de design, afin de mettre en œuvre un plan d’accessibilité et ainsi répondre aux besoins de la diversité des utilisateurs d’une organisation.

Au Québec, nous sommes dans les débuts de la professionnalisation de l’accessibilité. Alors qu’en Ontario, aux États-Unis et en Europe, il existe déjà de véritables communautés d’experts dans ce domaine qui représentent d’ailleurs elles-mêmes des exemples de diversité. En effet, les professionnels qui les composent proviennent de métiers et de domaines variés, sont de nationalités différentes et détiennent divers besoins d’accessibilité. Ces derniers sont souvent recrutés par des multinationales telles que Microsoft, Google, Facebook et Apple ou par d’autres entreprises au sein desquelles ils examinent et mettent en œuvre des stratégies d’accessibilité.

Je détiens moi-même une certification en tant que professionnel de l’accessibilité délivrée par l’association internationale des professionnels de l’accessibilité (International Association of Accessibility Professionnals, IAAP), une association à but non lucratif, consultante à l’ONU, axée sur l’amélioration des compétences des professionnels afin de favoriser une meilleure adoption et mise en place de produits, services et contenus accessibles aux personnes vivant des situations de handicap.

Dans le domaine de l’éducation, ces professionnels en accessibilité ont aussi leur place afin de mettre de l’avant une vision plus holistique de l’accessibilité.

En ayant recours à ce type de professionnels dont l’expertise est reconnue et certifiée, les organisations s’assurent de développer de bonnes pratiques et une culture de l’accessibilité. Par ailleurs, la formation demeure également un très bon moyen d’améliorer et de faire évoluer nos pratiques. Car l’innovation numérique commence, avant tout, par l’innovation sociale.

Pour aller plus loin et favoriser l’accessibilité numérique au sein de vos établissements :

 Découvrez ÉMANO : un outil indispensable pour analyser vos progrès en accessibilité numérique


¹Traduction libre dans le standard international ISO-EC 30071-1 Codes de bonnes pratiques pour créer des produits et services TIC accessibles

²https://labo.raamm.org/projets/composants-web-accessibles-2015-2016/rapport-final-phase-1/

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